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    Oui, je suis encore en vacances. Et franchement, je t’emmerde! »

    ProfsCarte blanche de Chrystelle Charlier, enseignante.

    - Quoi? T’es encore en vacances?

    - Ha ha, j’aurais dû être prof tiens, je bosserais moins!

    - Non mais toi, les horaires de travail, tu connais pas hein, t’es prof.

    Les profs entendent ce genre de petites phrases environ huit fois par semaine. Trois fois pour ma part aujourd’hui. Même la boulangère me l’a sorti.

    Si le métier de professeur est loin d’être le plus rude, il est de toute évidence un des plus raillés. Je pense qu’il est temps de remettre deux-trois choses en place quand même.

    La journée-type d’un prof, c’est, déjà, partir chargé comme une mule, un pc, deux classeurs pleins, un énorme journal de classe, un gros plumier (pour prêter des bics à tes enfants), un tas d’interrogations corrigées, un tas de copies à distribuer et un sac à main (avec deux paquets de mouchoirs pour tes enfants). Parce que le prof n’a pas de bureau, ni la plupart du temps de local où laisser ses affaires. Il joue à la tortue et balade sa maison sur son dos. Il refera sa petite valise à la fin de chaque heure de cours pour transbahuter le tout de classe en classe, d’heure en heure, d’étage en étage. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais j’ai pesé mon sac et il fait 9 kilos. Les classeurs sont dans mes bras, les copies par dessus. Et je transporte le tout environ huit fois sur la journée. Quand toi, tu as quoi? Un agenda?

    Ensuite, dans ta petite tête de travailleur acharné qui n’a pas la chance d’être prof et de ne rien foutre, je fais 24h/semaine, hein? Certes mon lapin, mais entre ces 24 heures, j’ai des heures « de fourche » tout partout. Heures de fourche consacrées à faire la file à la photocopieuse (comme toi qui appelles ça du travail, non? Nous, on appelle ça des pauses…), à imprimer des machins (ce que tu appelles du travail aussi quand c’est toi qui le fais), à corriger, à répondre à des élèves (mais toi tu dis clients), à des parents et j’en passe.

    « On a deux mois de vacances pour enterrer nos morts »

    Tu argueras que « oui mais t’as facile toi, tu sais toujours reprendre tes enfants à l’école. Moi je finis à 19h ». Tout à fait. C’est un des avantages de mon métier. Sauf que quand les enfants sont couchés, toi tu mates un film. Moi, je corrige encore. Parce qu’on a beau dire, 322 élèves, c’est 322 interros tous les 15 jours environ. Et tu sais quoi? J’ai pas de secrétaire pour m’aider. En imaginant que je suis la reine du turbo de la correction et que je corrige chaque copie en 2 minutes, ça fait (j’ai compté) environ 10,7 heures à corriger. Et ne nous mentons pas, il est virtuellement impossible de corriger si vite tu t’en doutes.

    Je ne te parle même pas des institutrices qui passent parfois des soirées entières à préparer 22 bricolages, souvent en étant obligées d’enrôler le mari parce que toutes seules, c’est juste pas possible.

    Ah et puis pendant mes vacances, je profite de mes enfants. Oui. Et des tiens aussi la plupart du temps. Et de ceux des copines. Parce que « tu peux bien les prendre, t’es en vacances ». Les vacances, chez moi, ça ressemble très fort à une immense garderie. Mais c’est rien, j’ai quand même que ça à foutre.

    Autre point rigolo : moi, je ne peux pas prendre congé. Jamais. Essaie de caser le dentiste en pleine journée quand tu es prof pour voir. Et négocie avec l’orthodontiste de ton gamin pour qu’il te case « après 16h, merci ». C’est là que tu te demandes pourquoi ils ne travaillent pas le mercredi après-midi pour la plupart (fait vécu). Un enterrement? Tu ne peux pas. Sauf si c’est du premier degré familial. Tu gagnes un voyage? Bah tu peux pas. Ton mari se fait opérer? Tu ne peux toujours pas. C’est un cancer? Bah quand même, tu peux pas. Après tout c’est vrai qu’on a deux mois de vacances pour enterrer nos morts et soutenir nos familles malades, hein!

    « Le mari de ma collègue Carine est persuadé qu’elle le trompe quatre fois par an… »

    Là où j’ai de la chance c’est que « Mes cours sont faits ». Oui parce que cet été, pendant mes deux mois de vacances (qui, pour info, ne sont pas payés!), j’ai préparé mes cours à raison de quatre heures quotidiennes. Tout bêtement parce qu’il est quasiment impossible d’avoir une vie en préparant ses cours au fur et à mesure. Demande aux jeunes profs. C’est à peine s’ils sortent de chez eux les trois premières années.

    Sauf qu’à la rentrée, j’ai appris que deux des cours que j’avais préparés tombaient. Un peu comme toi, quand tu bosses des heures sur un dossier et que ça tombe à l’eau. Et là, j’ai aussi appris qu’on me mettait un nouveau cours. Tu peux donc ajouter trois ou quatre bonnes heures par semaine de préparation et d’étude (parce que le prof est supposé connaître des tas de choses sur son sujet et s’il est un tout petit peu motivé, il lit des trucs).

    Quatre fois par an, nous, les planqués, avons également des conseils de classe. Pendant les temps de midi (et je vous jure qu’on n’est pas dans un petit resto sympa malheureusement), après 16h ou les mercredis après-midi. Ces conseils durent parfois jusque 22h, 23h… Dans mon cas, par exemple, lorsque nous sommes en semaines de conseils, c’est cinq fois que je resterai aussi tard. Quatre fois par an. Mais je vous rassure, on a de l’eau. Parfois du jus d’orange quand c’est fête. Avec en prime des familles qui nous gardent les enfants et qui ne nous croient pas! (Le mari de ma collègue Carine est persuadé qu’elle le trompe quatre fois par an…). Évidemment, ces semaines-là comportent toujours les heures et cours, les préparations de cours et les corrections. Ce sont donc des semaines où le prof de base tourne à 80h/semaine. Mais bon, il a deux mois de vacances.

    Deux fois par an, ce sont les examens. Là, en général, tu y vas de ton « La chance!!! t’as fini tous les jours à midi ». Oui. Pour corriger 322 copies d’examens en une semaine. En allant vite et en corrigeant chaque copie en 15 minutes, tu peux compter que ça fait 80 heures. Sur une semaine. Avec environ 20 heures de surveillance. Mais c’est chouette : on voit les émissions de nuit à la télé. Puis, de toute façon, on a deux mois de vacances.

    Mon prof, ce pigeon!

    Les profs, ce sont aussi de gentils bénévoles. Ils organisent des ateliers-théâtre pendant leurs heures de fourche ou leurs temps de midi, gèrent des bibliothèques, organisent des ventes de gaufres pour que tu n’aies pas trop à payer le voyage de ton cher ange, voyages qu’ils encadreront pendant leurs propres vacances et qu’ils auront payés! Parce que ce serait quand même honteux qu’ils voient Auschwitz pour la douzième fois en surveillant 58 ados sans débourser un euro, nan?

    Les profs, ce sont aussi de gentils pigeons de l’état. Parce que tu me trouveras un autre boulot où tu dois acheter toi-même tes stylos, livres, feuilles, imprimante, ordinateur et autre hein. Moi, j’en connais pas.

    Tout ça pour que toi, tu puisses aller bosser au fond. Et tout ça pour que tes enfants puissent un jour aller bosser aussi quand tu y penses.

    Sauf que toi, personne et surtout pas moi ne se permettrait de te dire que tu glandes, naturellement. C’est le privilège du prof, ça, de s’entendre dire qu’il ne fout rien. Personne ne va jamais dire à la boulangère qu’elle glande. Ou au pompiste qu’il « fait rien qu’à attendre derrière sa caisse ». Parce que dans leur cas, on voit un résultat. Alors que le nôtre est immatériel. En gros, vous raillez l’éducation de vos propres enfants puisqu’on ne sert à rien.

    Et c’est avec cette belle démarche d’irrespect qu’on se retrouve avec, pour couronner le tout, des parents qui viennent défendre « le petit » qui t’a traité de connasse parce qu’après trois fois à lui demander de se taire tu lui as mis une note. C’est aussi ainsi qu’on entend des gamins te répondre que « De toute façon, mon père il dit toujours que vous êtes des planqués ».

    Nerveusement, c’est pas non plus toujours une sinécure tu vois? C’est quand même un boulot où on se fait parfois insulter par des gosses que des parents auraient dû mieux éduquer. Où on saccage ta voiture trois fois de suite devant chez toi parce que t’es un peu sévère (vécu par un collègue l’an passé). Où on voit des vies déjà mal parties, des gamins abandonnés, d’autres qui tournent mal, des parents trop durs, d’autres trop laxistes et, si l’on est un tout petit peu impliqués, c’est un boulot qui pèse parfois en fin de journée.

    « Les égarés du privés ne nous sont pas d’un grand secours »

    Est-il utile aussi de rappeler que tu as beau y mettre tout ton cœur et tes tripes, c’est pas tous les jours que tu as du retour, pas tous les jours que ton cours intéresse, même si tu as mis la moitié de ta nuit à chercher l’angle sous lequel aborder ta leçon?

    Alors tu sais, je ne me plains pas outre mesure. J’aime mon métier. Mes élèves sont merveilleux pour beaucoup, j’ai d’ailleurs parfois plus l’occasion de les voir grandir que leurs propres parents qui les casent plus qu’ils ne le devraient. J’ai en effet des vacances parsemées de partout dans l’année et je ne les occupe pas qu’à préparer mes cours ou corriger, c’est certain. Je suis aussi la première à dire qu’il y a des tas de métiers mille fois plus durs. Je serais incapable d’être ouvrier dehors en plein hiver. Incapable de bosser chez Machin comme ma copine Sandrine qui va à Bruxelles tous les jours en se levant à 6h du matin et en rentrant à 20h. Je n’aurais pas osé comme d’autres investir tout ce que j’ai dans une entreprise. Je détesterais épiler des vieilles décrépies. Je ne pourrais pas nettoyer des dents de leurs caries. Je ne pourrais pas être caissière, pilote ou vétérinaire.

    Par contre, tous ces gens que je viens de citer me disent toujours qu’ils ne pourraient pas être profs. Alors de grâce, tout ce qu’on vous demande, c’est d’un tout petit peu garder pour vous vos idées à la con sur le fait qu’on ne fout rien. Ou alors, et on y arrivera bientôt, vous vous retrouverez prochainement avec des profs qui ne seront plus motivés du tout pour éveiller vos enfants aux cours que vous n’avez pas le temps de leur donner.

    La pénurie de profs s’aggrave tous les jours. Et ce ne sont pas les quelques égarés du privé qui viennent nous rejoindre pendant deux ou trois ans avant de retourner d’où ils viennent en vitesse parce que « C’est beaucoup trop contraignant » (si, si, entendu de la bouche d’une hôtesse de l’air qui donnait de l’anglais) qui nous seront d’un grand secours.

    Donc oui, je suis encore en vacances. Et franchement, je t’emmerde!


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